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Analyse de livres / 2023 Ecrivain biographe

Tropiques toxiques
Le scandale du chlordécone
J.Oublié, N.Gobbi, K.Avraam,V.Lebrun

ISBN 978-2-36569-759-0
Les Escales STEINKIS, octobre 2022


Curieuse mais pas nécessairement surprenante coïncidence qui me voit terminer la lecture de cette bande dessinée retraçant les différentes étapes de l’affaire du chlordécone pour laquelle le tribunal judiciaire de Paris a rendu un non-lieu le 2 janvier 2023 et celle, dans la presse, aujourd’hui, de l’assignation de sociétés productrices d’eau de consommation humaine. On attend d’une bande dessinée que sous une forme ludique, elle apporte une information aussi complète qu’un ouvrage et c’est le cas du fruit de la collaboration de Jessica Oublié, scénariste et Luc Multigner, épidémiologiste. En 11 chapitres, ils retracent le drame de l’utilisation de ce toxique rémanent qui, au départ, avait pour objectif louable de sauver la production antillaise de bananes face à l’envahissement du marché français par les productions ivoiriennes et camerounaises, car le charançon faisait des dégâts considérables. C’est alors que la volonté affirmée de protéger les Antilles du libre-échange conduit à 22 ans d’épandage d’un produit dont les études toxicologiques préalables à sa commercialisation ont été mal conduites et trompées comme bien souvent par l’extrapolation toujours difficile de l’animal à l’homme. Ce qui apparait clairement, c’est qu’au vu de la persistance du chlordécone, toute la chaine alimentaire est contaminée et victime du mécanisme de bioconcentration, les ressources en eau le sont aussi et l’Homme qui se trouve au sommet de la chaîne trophique n’est bien évidemment pas épargné et pour longtemps, de 70 à 700 ans selon les experts.
La propriété de perturbateur endocrinien du chlordécone conduit à dire que le cancer de la prostate est la maladie signature mais les cohortes étudiées montrent aussi la présence du toxique dans le lait et le sang maternels de neuf femmes sur dix.
C’est une bien mince consolation que de dire que beaucoup d’autres pays connaissent également une persistance de toxiques dans leurs sols et dans leurs eaux à la suite de conflits armés (dioxines au Vietnam), d’utilisation clandestine (mercure, orpaillage, Guyane), d’utilisation industrielle et de rejets sauvages(plomb, saturnisme) voire de tsunamis (radioactivité, Fukushima). Il ne reste plus qu’à espérer que la flore bactérienne de la terre fasse son œuvre de détoxification…
Dans cette bande dessinée, le match de tennis est sûrement la meilleure représentation d’une situation où tous les responsables se sont renvoyés la balle et où les décisions en étage ont conduit à une absence de position ferme d’interdiction au profit de dérogations d’emploi.

Les conséquences psychologiques et politiques engendrées par ce sentiment d’abandon, ne seront-elles pas plus durables encore que la persistance du toxique ?

© F-M Pailler
12/02/23