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Chez le Psy…séance n+25

Paul était arrivé à ce dernier rendez-vous, comme un coureur du Tour de France qui appartient à l’équipe victorieuse et termine la grande boucle par une étape considérée comme relativement facile qu’il débute avec une coupe de champagne à la main.

Devait-il être reconnaissant à celui qui, en prolongeant la comparaison, pourrait être son manager d’équipe, celui qui vous encourage dans les étapes de montagne ou vous suggère une stratégie pour être dans l’échappée qui ira jusqu’au bout et se départagera au sprint ?

En quelque sorte, il se considérait sur les Champs Elysées et Alice, Agnès et Pierre et plus tard, Joseph et Jeanne qui l’avaient aidé à se sortir de son marasme étaient dans la foule, venus l’applaudir avant qu’il ne monte sur le podium…Peut-être étaient-ils dans la foule mais en fait, ils avaient plutôt porté le même maillot que lui, avaient plutôt fait partie de la même équipe et lui avaient apporté, qui un bidon lorsqu’il avait besoin de récupérer, qui, une roue lorsqu’il avait crevé et peut-être même Pierre lui avait-il passé son vélo pour qu’il ne prenne pas trop de retard au classement général !

Car, les trois compères avaient continué à se promener entre hommes le dimanche matin, et Pierre avait mis un point d’honneur à être le "sparring partner" parfait dont Paul avait besoin pour avancer dans sa réflexion, dans son analyse, dans sa psychanalyse…Paul avait été un ami tellement précieux lorsqu’il était sorti de prison et était parti à la reconquête d’une "vie normale", d’une vie supposée normale. Joseph, depuis qu’il s’était joint à eux, lui apparaissait plus comme le contradicteur, l’exhausteur du goût de la réflexion…

Il attendit presque un quart d’heure dans la salle d’attente et lorsque le Docteur Page ouvrit la porte et dit "C’est à vous Monsieur Ribérot", il éprouva un sentiment d’agacement, d’impatience : qu’allait-il bien pouvoir raconter au thérapeute qui l’avait prévenu que c’était sa dernière séance et qu’en 25 séances, il avait dû évacuer, enfin, son épuisement !

Le Docteur Page, pour la première fois de leur "collaboration", lui serra la main comme si ils terminaient un combat, un match à la loyale au cours duquel chacun avait été fair-play. Paul avait joué le jeu de la confidence et le Docteur Page qui l’avait écouté le déclarait gagnant !

Cela n’empêcha pas ce dernier de commencer sa consultation comme chaque fois, en lançant avec un air de complicité ironique :

Alors, comment ça va, Paul ? Avez-vous réussi à tordre le cou aux dérives sociétales qui vous obsèdent ?
Ce n’est pas une obsession mais une réalité ; rétorqua assez sèchement Paul. Et d’ajouter :
Vous ne voyez donc pas que les technologies modernes sont en train de mettre à mal tout ce que vous avez appris dans vos Facultés et qu’un jour votre divan sera au chômage comme l’hygiaphone de la Mairie ou du Centre des Impôts, puisque maintenant, on clame partout haut et fort, qu’il faut satisfaire à la dématérialisation en n’utilisant plus que l’ordinateur comme seul moyen d’échange !
Dans quelle société nos petits-enfants vivront-ils dans 50 ans ?
Que voulez-vous dire par là ?
Vous verrez dans 50 ans et peut-être même avant, grâce à toutes ces lois qui détruisent la relation sociale et le milieu familial, on ne dira plus jamais je t’aime !

Que voulez-vous dire par là ? dit le Docteur Page après un temps de silence qui lui avait été nécessaire pour comprendre.

Cette phrase du Docteur Page "que voulez-vous dire par là ?", Paul la connaissait et en 25 séances, il avait dû l’entendre au moins 250 fois ; elle soignait chaque patient en l’obligeant à s’exprimer, à argumenter, à s’analyser, à rechercher au plus profond de soi…

Paul appela le Père Zanotti-Sorkine à son secours. Il partit dans l’analyse de la sacrée affaire que représente l’amour et interpella le Docteur Page, connaissant déjà la réponse et persuadé que depuis quelques temps, c’était lui qui dirigeait les consultations :

Connaissez-vous le Père Zanotti-Sorkine ?
Pas du tout, jamais entendu parler ! répondit le praticien sur un ton désabusé et désintéressé.

Et de continuer :

ce que je veux dire par là c’est que lui, il se pose les vraies questions que l’on doit se poser sur l’évolution de notre société qui va devenir une société sans amour, c’est-à-dire sans vie si l’on n’y prend pas garde.

Tout le monde parle d’écologie, de réchauffement climatique, de gaz à effet de serre et de disparition de la couche d’ozone mais personne ne clame haut et fort que l’on s’est engagé sur le chemin d’un laxisme moral inéluctable. Moi, je dis que l’on préserve l’homme d’un côté en faisant en sorte qu’il vive dans un environnement plus sain et qu’on l’assassine de l’autre en lui proposant de vivre dans une société où on ne le respecte pas.

Trouvez-vous qu’il soit normal de faire les gros titres des quotidiens avec l’addiction aux écrans quels qu’ils soient, avec la robotisation, l’intelligence artificielle et la légalisation du cannabis parce que l’on ne sait pas l’interdire ?

Je vous entends mais ne comprends pas tout. Parlez-moi du Père Zanotti-Sorkine et de son approche de l’amour ; proposa le Docteur Page.
Michel-Marie Zanotti-Sorkine nous vient du monde des artistes. C’est un bon point à mes yeux car là encore, il n’y a aucune suspicion à avoir sur sa vocation de prêtre. Il est devenu prêtre pour l’amour de l’autre, assez tardivement d’ailleurs à l’âge de 40 ans parce qu’il a pensé qu’il valait mieux qu’il se consacre aux valeurs d’une société qui est pour un lien solide dans le couple et dans la famille. Ce prêtre aux multiples talents qui a l’expérience de la vie et n’idéalise pas tout, met sa plume au service de sa mission.
Dans trente secondes, dit le Docteur Page, pour pousser Paul dans ses retranchements, on va se retrouver dans une réunion « Sens commun ».
Mais pas du tout. Je suis contre les attitudes extrémistes, d’un côté comme de l’autre mais l’approche de Michel-Marie me paraît des plus intéressantes dans le cheminement des jeunes à rencontrer l’amour et ce qu’il y a de bien avec cet homme, c’est qu’ il a une formule qu’il répète à chaque fin de chapitre qui traduit son optimisme sur la nature humaine :

« … cela dit, si, à chacune de ces étapes, rien de tout ceci n’a été vécu, tout est récupérable, rien n’est perdu, d’autres voies s’ouvriront pour donner chance à l’amour. »

Dans son essai, il aborde avec humour et quelques citations les deux chapitres qui à mes yeux traduisent bien la difficulté de constituer un couple solide : dans le chapitre intitulé « l’épreuve de la rencontre », il n’hésite pas à citer Sacha Guitry et lui attribue cette phrase qui fait sourire :

« une femme sur ses genoux avec laquelle on n’est plus d’accord, c’est lourd ! »

et un peu plus loin,

« se plaire n’est pas s’aimer, bien que s’aimer nécessite de se plaire. Là est toute l’épreuve ».

Dans le chapitre intitulé « la divine journée », l’approche du déroulement de la cérémonie de mariage vue par le Père Zanotti-Sorkine m’a beaucoup intéressé et je trouvais puissante l’expression de sa lutte contre la débauche matérielle au profit d’une approche plus modeste :

« … si je devais me marier demain, je demanderais à un ami prêtre de célébrer la messe de mon mariage, et si cet ami n’existait pas, j’irais sortir d’une maison de retraite un vieux prêtre mis au rencart ; je prendrais la voiture de mon beau-père, même si c’est une vieille guimbarde ; je choisirais une petite chapelle de montagne ; et après avoir prononcé le "oui" qui engage à jamais, sur la table de bois réservée habituellement au tri des champignons ramassés dans la forêt, je dresserais une belle nappe blanche sur laquelle trôneraient un beau pain de campagne, un saucisson corse et une bouteille de Gevrey-Chambertin…Autour de la table de bois, la famille proche et les vrais amis plus qu’intimes. Et pas davantage ! »

Un épicurien, votre Père Zanotti, se risqua le Docteur Page, sorti de sa somnolence ;
Non pas du tout, un homme simple, réaliste et modeste, attaché aux vraies valeurs, rétorqua Paul ;
Ecoutez, Paul, à ce que je vois ou comprends, il me semble que vous êtes sorti d’affaire et que vous avez trouvé les bons supports de votre renouveau. Au fait, que vous a dit le sexologue célèbre auquel je vous ai adressé ? Si l’on se revoit aujourd’hui, c’est je pense qu’il vous l’a conseillé ;

Sûrement, sûrement, mais, après réflexion, je perçois que ce n’est pas tant le sexe que l’amour qui demeure mon interrogation, Docteur Page !





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